jeudi 9 février 2017

COMMUNAUTÉ


COMMUNAUTÉ :  LES MASQUES


"Les masques" est un travail d'illustration dont le thème est l'hypocrisie au sein d'une famille. J'ai ainsi repris des photos à l'esthétique des traditionnelles photos de famille. J'ai donc mis l'accent sur des visages sans expressions dépourvus de toutes émotions. Comme si personne n'était censé montrer ce qu'il pense en famille afin de préserver les bonnes relations... 

Format 20*20 cm
Technique: crayon de couleur et marqueur noir




Mon frère marche devant moi. Je le suis d’un pas nonchalant. Il doit me traîner. Il doit me tirer. Je fais tout pour le ralentir. Je veux arriver le plus tard possible.Il me regarde en soupirant. Et sur un ton légèrement agacé, il me dit d’arrêter de me plaindre, de ne pas parler des sujets qui fâchent et de sourire. Car le sourire est la clé d’une soirée cordiale. Et personne n’aime être fâché contre quelqu’un. Surtout quand il s’agit de sa famille.  

Nous arrivons. La maison paraît toujours aussi inutilement grande. Il y a une voiture devant. Elle est neuve. Comme si elle était exposée. Comme si elle était posée là pour qu’on la regarde. Je sonne à la porte. On m’ouvre. C’est ma tante. Elle a un nouveau foulard, elle a mis du rouge à lèvres, elle s’est lissée les cheveux et elle me le fait remarquer. Elle me demande ce que j’en pense. Et, avant que je puisse répondre, elle me glisse une gentillesse. Elle s’attend à ce que je la complimente, je le sais. Ça fait maintenant plusieurs années qu’elle me fait des politesses pour que je lui rende la pareille. C’est un rituel entre nous. Je lui dit alors qu’elle est belle. Je n’en pense pas un mot.

***


Mon oncle nous rejoint. Il est souriant, affable, serviable. Il m’embrasse. Il me dit que j’ai grandi, comme toutes les années. Seulement, depuis trois ans, je ne prends plus un centimètre. Comme toujours, il m’invite au salon pour rejoindre le reste de la famille. Il sert du café, il propose des apéritifs, il parle d’art et de politique…ou du moins, il croit en parler. Il nous présente un tableau, acheté…chez Ikea !



Comme chaque année, il y a une table pour les enfants et une table pour les adultes. Et, considérée de la même manière qu’à mes huit ans, je suis évidemment assise avec «les enfants». Aussi jeune que je suis, je ne suis pas censée savoir que le milieu social influence les résultats scolaires et je ne suis pas apte à juger qui de Fillon, Macron ou Hamont fera un meilleur président…Ainsi, j’écoute les conversations de mes trois cousines sans grand intérêt.  S. a quitté son copain pour la troisième fois mais elle l’aime toujours. Elle me dit que c’est compliqué. J. a découvert un nouveau site de chaussures en ligne. À ce qu’il paraît, il est génial. M. a changé de manucure. Le rose lui va mieux que le bleu… 
À l’autre bout de la table, mon frère me regarde. Il me fait comprendre qu’il s’ennuie. Il mime des animaux pour me faire rire. Je souris. Par le langage que nous avons inventé, il me fait comprendre que S. l’agace et qu’elle est vêtue n’importe comment. Je ris. Puis, toujours par notre code, il me dit: «T’es moche» ! Je ne ris plus. Je lui lance un regard noir. Puis je finis par m’amuser de son ironique méchanceté. 

Mon oncle nous sert le repas. C’est lui qui a cuisiné.  Il y a un apéritif, une entrée, un plat et un dessert. Et comme tous les ans, je n’ai plus faim dès l’entrée. Je me force alors à manger. Le repas est riche; il en devient écoeurant. Je me force à manger jusqu’à que je n’en puis plus. Mon oncle me ressert malgré moi. Il veut me faire goûter à tout ce qu’il a cuisiné. Je lui dit que c’est délicieux, qu’il est doué. Il ne s’arrête pas. Je sens les aliments qui remontent dans mon oesophage. Je mets ma main devant la bouche. Je dois quitter la pièce… 


***

Enfin, arrive le temps des « au revoirs » qui, aussi longtemps que je me souvienne, durent des heures. On se souhaite des réussites, des bons voeux qui ressemblent cependant plus à une habituelle et lassante politesse qu’à des encouragements. «J’espère que tu réussiras ton Baccalauréat » ! « Pourvu que tu guérisses vite de ton rhume!», «Mes amitiés au petit copain!». J’acquiesce à tout sans pour autant leur renvoyer leurs hypocrisies. Seulement, j’ai déjà eu mon Bac, je ne suis pas malade et je suis célibataire. J’hésite à le leur dire. Ils ne m’auraient pas écouté. Alors, je me tais. 
Arrive  ensuite la série de bises. S'en dégage un mélanges d’odeurs de peaux transpirantes, de trop plein de parfums mêlés à celle de la cigarette. 


Je passe la porte suivi de mon frère. Je le traîne, je le tire. Je veux partir le plus vite possible. Je respire enfin… jusqu’à l’année prochaine. 

                                                                              ***





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